Trop de femmes pour Oskar !
Hier matin, j’ai participé au débat : « Faut-il promouvoir les hommes dans l’enseignement primaire ? » (Radio RTS.ch La Première, émission du 13.02.2013).
Qu’il y ait une forte représentation des femmes dans l’enseignement primaire est un fait indéniable et corroboré par une étude de la Haute école pédagogique de Zürich, qui indique que la proportion d’enseignants hommes au primaire est passée de 60% en 1950 à 19% en 2012.
Or, pour Oskar Freysinger, cette féminisation de l’enseignement primaire serait dangereuse. Elle nuirait au développement des enfants et plus particulièrement des garçons qui n’auraient plus d’image d’identification à l’école pour développer leur identité masculine.
Pour défendre son point de vue, le politicien de l’UDC a évoqué le besoin d’équilibre entre le yin et le yang. Il a également ajouté que cette surreprésentation féminine dans le corps enseignant primaire menace notre civilisation. Car, pour lui, trop de femmes autour de l’enfant risque de nous faire basculer dans une société matriarcale, qu’il définit comme étant sédentaire et non violente. Et, ainsi, pour M. Freysinger, nous subirions alors le destin de ces sociétés matriarcales, qui auraient existé il y a 3000 ans (av. J.-C.) et qui auraient été exterminées par les sociétés patriarcales, qui, elles (toujours d’après le récit historique de M. Freysinger) sont non seulement extrêmement violentes, mais existent malheureusement toujours sur cette terre, et qui vont prendre le dessus !
Bref, le tableau que nous brosse M. Freysinger est apocalyptique ! A le suivre, la forte proportion d’institutrices pourrait anéantir notre société !
C’est dire qu’il faut agir vite ! C’est pourquoi l’UDC, dans son programme, veut supprimer le temps partiel des enseignants. Mesure efficace bien sûre, puisque les nombreuses femmes, qui parviennent à concilier vie de famille et vie professionnelle, en enseignant à temps partiel, devraient abandonner leur emploi et rentrer à la maison. Un coup de balai qui remettrait en quelque sorte chacun à sa place puisque pour l’UDC et plus particulièrement pour M. Ueli Maurer : « la femme est la plus compétente pour s’occuper des enfants dans leurs jeunes années. C’est dans l’ordre des choses » (in Femina, mars 2011)
Le discours d’Oskar Freysinger qui se pose comme modéré (qui prône un équilibre entre femmes et hommes), et qui s’appuie sur des faits soi-disant clairs, évidents et historiques, tait en réalité ses présupposés.
En fait, la fable de M. Freysinger nous offre une représentation bien étrange de l’humanité.
Premièrement, notre manière de nous comporter dépendrait non pas de constructions sociales, mais de notre sexe. Ainsi, la femme serait par nature non violente et sédentaire, tandis que l’homme serait, lui, nomade et violent.
Deuxièmement, dans ce cadre stéréotypé, il semble que la liberté et le désir sont évacués.
Cette dérive vers un déterminisme biologique est désastreuse, car elle nous enferme dans un schéma préconçu, alors que la diversité humaine est riche et surprenante. Il y a des êtres contemplatifs, introvertis, extravertis, entreprenants, autonomes, impulsifs…
Le choix d’une profession dépend par contre de constructions sociales et du statut d’une profession.
Au XIXe siècle, par exemple, où l’instituteur jouait (en province ou dans les petites communes) un rôle de notable, le métier de maître d’école était essentiellement masculin. En revanche, aujourd’hui, dans cette profession dont l’image a été fortement dévalorisée, il y a une abondante représentation féminine.
Moi-même lorsque je repense à ma scolarité à Genève, il y a quelques temps il est vrai, je constate qu’il n’y avait déjà plus un seul homme enseignant dans mon école, et que je n’ai eu que des institutrices. La qualité de l’enseignement n’en n’a pourtant pas été affectée, car le sexe ne détermine pas la valeur intrinsèque d’un enseignant.
Néanmoins, on peut bien sûr regretter cette désertion des hommes dans le monde de l’enseignement.
Car trop d’institutrices tue l’institutrice !
En effet, dès qu’une profession se féminise, elle est dévalorisée et moins bien rémunérée.
Que peut-on donc faire pour promouvoir les hommes dans l’enseignement primaire ?
Là, le problème devient complexe !
Ayant toujours été opposée à toute forme de parité ou de quotas imposés (que ce soit en politique ou dans le monde professionnel), je ne vais pas opter pour ce choix.
Imposer par la coercition, par l’arbitraire un équilibre est une vue réductrice de l’humain à laquelle je ne peux décidément pas adhérer.
Car, on commence en effet par séparer les genres, puis on se mettra à distinguer les enseignants chrétiens, des juifs, des jeunes, des âgés, puis peut-être même à introduire, pour faire des quotas, le critère de la couleur de la peau et pourquoi pas à discriminer les porteurs de lunettes !
L’utilisation même d’un langage dit « épicène » m’horripile ! A cet égard, j’avais déjà écrit un billet en 2010
Ces séparations entre les genres ne servent ni les femmes ni les hommes, car elles exacerbent les différences, coupent, séparent et génèrent de la violence.
Entre les humains, il existe un lien qui surmonte toutes les particularités locales, culturelles et sexuelles : l’intelligence !
Enfin, que les hommes viennent à l’enseignement primaire, j’adhère !
Pour les encourager, il faut rendre la profession plus alléchante et éveiller leur désir pour cette profession qui, en dépit des récentes réformes scolaires insensées et incohérentes menées depuis quelques années par les décideurs de la politique scolaire, reste un métier gratifiant. Car transmettre des connaissances et éveiller les intelligences, quoi de plus beau !
Maintenant, la crise économique actuelle pourrait aussi ramener les hommes à embrasser cette profession qui offre, sur un plan plus terre à terre, une certaine garantie d’emploi. Affaire donc à suivre…