Langue et usages
Monsieur Cyril Mizrahi, chef du groupe socialiste pluraliste, a écrit un commentaire de mon papier : "Les socialistes, les mots et l'armée", commentaire qui a été mis en ligne. Je le remercie d'avoir pris le soin de me lire, de réagir à mon propos, et de me suggérer la lecture de "Femmes, j'écris ton nom", qu'il qualifie de : « ouvrage équilibré ».
Cela dit, l'adjectif "équilibré" ne m'encourage pas à me précipiter pour acheter l'ouvrage en question. Je n'attends nullement d'un livre qu'il soit "équilibré" (sauf peut-être d'un livre de cuisine où on peut espérer que l'auteur présente un nombre équilibré d'entrées, de plats de poisson, de viande et de dessert), mais qu'il puisse exalter ma pensée, me bouleverser, me surprendre, m'étonner, me faire voyager, me distraire...
Prétendre aussi que « l'Académie française est une nouvelle fois dépassée par l'usage, en plus des règles grammaticales et du bon sens », c'est aller un peu vite en besogne !
Tout d'abord, je me méfie beaucoup du "bon sens" qui permet de se réclamer de l'évidence, et de masquer ainsi ses croyances, ses adhésions et ses préjugés. Le langage n'est pas une affaire de bon sens, mais de mémoire. Là, c'est sûr, tout se complique et nous échappe !
Alors, demander à « l'Office de la langue française qui constitue la référence » (dixit M. Mizrahi) puisque « c'est aux Québécois qu'on doit nombre d'innovations aujourd'hui communément admises partout » (toujours dixit M. Mizrahi) de nous sortir de ce lieu obscur qu'est la langue, c'est peut-être tentant, mais pas sans danger. Enseignante à l'école primaire, je connais les effets pervers que provoque cette rhétorique « d'innovations efficaces, modernes, constructives.. ».
Il n'est pas sacrilège de féminiser des mots ; la langue évolue ! Mais, instrumentaliser, dans un acte politique, une langue est problématique parce que la langue n'appartient à personne. Vouloir imposer un langage (par la contrainte et par des lois... puisque l'usage courant ne suffit pas !) exacerbe les tensions et génère de la violence.
Car, la question reste. Faut-il vraiment purifier la langue, la rendre "propre" en séparant bien les genres, de manière à ce que femmes et hommes ne se confondent pas ? Jusqu'où ira cet apartheid linguistique ? Après les femmes, faudra-t-il, avec un langage encore plus propre, distinguer les juifs, les noirs, les homosexuels, les enfants, les nains...? Faudra-t-il créer des "Politburos", des "Offices de la langue" avec des fonctionnaires, autoproclamés experts, qui dicteront, à une foule sans mémoire, les mots pour parler ?
Dernière critique que j'adresserai à l'attitude dogmatique de certains militants du langage appelé faussement "épicène", c'est l'ennui qu'il génère. N'y a-t-il à Genève aucun problème plus urgent à résoudre que de savoir si l'on doit appeler Madame Salerno « Madame le maire », « Madame la maire » ou encore « Madame la mairesse « ?
Pour terminer, je rappellerai à M. Cyril Mizrahi que l'Académie française, constituée de poètes, romanciers, hommes de théâtre, critique, philosophes, historiens et d'hommes de science, n'a pas pour rôle d'introduire des innovations dans la langue française. Elle a pour fonction première d'enregistrer ses variations.
Enfin, par échange de bons procédés, je voudrais également suggérer une lecture à M. Cyril Mizrahi. C'est un tout petit livre, sorti la semaine passée, et qui met en valeur la contribution de femmes dans la marche du monde. Il s'agit du livre : « Femmes suisses dans le monde du 17e au 21e siècle » (publié aux Editions Eclectica / Editions de Penthes), de Laurence Deonna et Bénédict de Tscharner.
Que ces portraits de femmes admirables fassent rêver tous les lecteurs...