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théatre

  • Censurer Molière !

    Sur les infos du 13 octobre (vu ce soir en “replay”), la RTS propose « Le Grand format » consacré à un débat qui anime le monde du théâtre ou plus précisément la nouvelle génération des comédiens (certains en formation). Ces derniers seraient nombreux à ne plus vouloir jouer certains rôles, car des répliques seraient racistes et sexistes. Pour ces comédiens, il y a des textes qui véhiculent des propos qui ne sont plus acceptables d’où la nécessité de réinventer les identités que l’on veut représenter au théâtre !


    Les grands auteurs classiques seraient particulièrement dans la ligne de mire de ces apprentis censeurs. Pour combattre les identités figées avec la question de genre qui serait non seulement occultée, mais alimentée par des schémas stéréotypés, ces jeunes se demandent s’il faut encore jouer ce répertoire.
    Veulent-ils d’ailleurs écarter seulement le répertoire classique ou traquer toutes les répliques, y compris dans le théâtre contemporain, où il y aurait de l’amoralité, du sexisme, du patriarcat,  du racisme, trop de légèreté écologique, trop de capitalisme, trop de rapport de pouvoir au lieu de bienveillance avec un fonctionnement horizontal... En tout cas, je crains que la radicalité d’un Antoine Artaud ne trouve grâce devant ces Trissotins, qui ont la prétention de changer le monde.


    Si beaucoup de jeunes versent actuellement dans cette moralisation rampante qui affecte l’écriture, l’espace public, la langue écrite, la langue orale, on aurait pu rêver que le monde du théâtre échappe à cette “talibanisation” de la pensée. En effet, la grande force du théâtre, c’est précisément de sortir de tout jugement et de jouer des rôles qui cassent les codes et préjugés. Ainsi, une “pute” peut être le personnage le plus digne de respect, de générosité et d’une humanité bouleversante, alors qu’une reine, une bourgeoise, une femme bien sous tous rapports s’avérera cruelle, infréquentable, hypocrite. On joue donc d’inversion sur scène. Surtout, on brouille les repères. On casse la pensée binaire pour introduire le trouble de la vie avec ses énigmes. Aussi, pour qu’un comédien puisse habiter son personnage, fût-il criminel, il doit l’aimer et ne pas le juger. En effet, la grande richesse du théâtre, c’est qu’il n’exclut pas !


    Or, que disent ces jeunes : « que certains textes tiennent des propos qui ne sont plus acceptables dans notre société d’aujourd’hui », et qu’on ne peut plus les jouer ou qu’il faudrait les rendre “propre” en les corrigeant... N’est-ce pas la proposition d’un jeune qui, pour éradiquer les clichés sexistes et racistes, dit :
    « On peut couper une réplique dans Molière ou dans un truc, c’est pas la fin du monde, quoi ! » Je lui répondrai avec Molière : « Mon Dieu que votre esprit est d’un étage Bas ! »
    On ne va pas au théâtre pour entendre un catéchisme. D’ailleurs, dans « Les femmes savantes » qui sortira avec la meilleure note de conduite : Henriette ou Armande ? Celle qui joue à la savante, à la précieuse ou celle qui rêve mariage, car :

    « Les suites de ce mot, quand je les envisage,
    Me font voir un mari, des enfants, un ménage ;
    Et, je ne vois rien là, si j’en puis raisonner,
    Qui blesse la pensée et fasse frissonner »


    Cette nouvelle génération des comédiens me fait craindre le pire non seulement pour l’avenir de notre société, mais aussi pour celui du théâtre qui, alourdi par une morale et des discours bien-pensants, deviendra ennuyeux. Le public va tellement se raréfier, que les autorités devront certainement faire des coupes drastiques dans les subventions pour le théâtre. Ah, c'est qu'on ne coupe pas Molière impunément !

  • Pouvoir s’émerveiller

    Ça y est, les Géantes sont arrivées à Genève ! Et, le peuple genevois (ainsi que celui arrivé par monts et par vaux !) est venu par dizaines de milliers à leur rencontre. Quelle chance et quel honneur pour la Ville de Genève d’avoir, après le Havre, Nantes, Liverpool, Santiago du Chili, Montréal… pu recevoir ces hôtes si prestigieux. D’après la Presse, des délégations de Tokyo et des Emirats arabes ont également fait le voyage jusqu’à Genève ce week-end, dans l’espoir d’amadouer ces Géantes pour qu’elles songent à venir dans leurs pays. Mais, l’espace planétaire garde ses mystères et rien ne permet de prédire quand et où ces Géantes feront leur prochaine apparition sur notre terre.

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  • Cassandre, la bannie

    Cassandre est une figure féminine de la mythologie grecque, vouée à rester seule, bannie de tous. Connue pour sa très grande beauté, le dieu Apollon tombe amoureux d’elle. En gage de leurs futurs ébats, il lui donne le don de divination.

    Cassandre accepte ce don, mais se refuse à Apollon. Si Apollon ne peut lui ôter le don qu’il lui a accordé, il va se venger en faisant en sorte que les prédictions de Cassandre ne soient jamais crues.

    Position intenable et cruelle pour Cassandre ! Elle peut prédire l’avenir, mais personne ne la croit. Son savoir est inutile et sans espoir. Il ne sert à rien puisqu’elle ne peut persuader. Elle a beau prédire le malheur des Troyens, avertir que le cheval utilisé par les Grecs est un subterfuge pour envahir Troie, personne ne l’écoute.

    Pire, ses prophéties exaspèrent ! On l’accuse de répandre le malheur, d’être une folle à enfermer. Son père, le roi Priam, la fera d’ailleurs jeter en prison avec un espion à sa porte pour recueillir les prophéties de la folle (car, on ne sait jamais si dans ses “délires” ou “transes” il n’y aurait pas quelque chose à saisir…). Mais l’espion, qui n’y comprend rien, ne peut rien rapporter.

    Cassandre, c’est l’incarnation d’une tragédie. Détenir la vérité sans pouvoir la transmettre, quelle souffrance et amertume !

    Cassandre, c’est à la fois une femme forte, révoltée, qui ose se refuser à un dieu (et au bel Apollon !) pour ne pas perpétuer une lignée de héros qui sèment la destruction et une femme fragile, victime parmi les victimes. Dépossédée de tout, elle vit en marge du monde, hors de soi, exclue même de sa famille. Plus elle voit l’avenir, moins on l’écoute, plus elle est bannie.

    C’est de ce personnage que s’est inspirée la romancière allemande, Crista Wolf, pour écrire sa « Cassandre » sur laquelle Michael Jarell a tissé sa musique. Ce spectacle, créé à Avignon, actuellement joué à la Comédie de Genève, est un véritable bonheur : la musique de Jarell, la mise en scène de Loichemol, la scénographie et les subtils jeux de lumière de Seth Tilett… et le jeu exceptionnel de Fanny Ardant.

    Car, pour jouer un personnage si riche, il fallait une toute grande actrice, capable de trouver le ton juste, de faire entendre les sentiments de douleur, d’amertume, de colère, d’excès et de fragilité…

    Il fallait une voix ! Celle de Fanny Ardant bien sûr, car, comme l’écrit Alexandre Demidoff : « Fanny Ardant impressionne parce qu’elle sait garder la mesure dans l’excès tragique. Jamais de trémolo, non. » (in, Le Temps du 24 septembre 2015).

    Dommage que ce spectacle reste si peu de jours à Genève (jusqu’au 27 septembre). Car, à notre époque où les techniques permettent de produire du faux si vrai (avec des images, des enregistrements, des imitations de produits…), cette Cassandre est décapante. Elle symbolise nos ambivalences, nos envies de nous leurrer, de nous rêver puissants pour ne pas avoir à penser à nos insoutenables fragilités et à nos folies…