L'USINE...
Le conflit entre l’Usine et le canton a déboulé au municipal et déchaîné les passions à tel point que les débats ont duré une session entière (le 27 et 28 octobre 2015).
Pour rappel, le Département de la sécurité et de l’économie (DSE) a demandé à l‘Usine de se mettre en conformité légale avec ses buvettes. Réclamer à l’Usine le respect des lois n’est pas une exigence inédite. Lorsque Pierre-François Unger dirigeait le Département des affaires régionales, de l’économie et de la santé (DARES), les conflits avec l’Usine fleurissaient déjà. Des menaces d’enquête administrative et de fermeture avaient dû être brandies pour que l’Usine finisse par consentir à respecter les lois comme celles contre la fumée, la non discrimination (en 2011, un élu avait été viré de l’Usine pour son appartenance politique !) et celle en matière de bruit, en acceptant, comme le prévoit la législation fédérale, une mesure des décibels lors de ses concerts.
Le “nouveau” bras de fer de l’Usine avec l’Etat concerne son refus d’obtempérer à la loi sur la restauration, les débits de boissons, l’hébergement et les divertissements (LRDBHD), dont la révision entrera en vigueur le 1er janvier 2016.
Comme l’a rappelé la conseillère municipale, Madame Florence Kraft Babel, l’Usine a pu exister, grâce au libéral Claude Haegi et ses « contrats de confiance ». Maire de Genève, Conseiller d’Etat, cet humaniste a mené, dans les années 1980, une politique originale, mais respectueuse de l’Etat de droit.
Assurément, notre monde a changé. Est-ce dû à la crise économique, au principe de précaution, à la propension de poursuivre par voies judiciaires aussi bien son voisin que l’Etat ? Bref, ce climat de défiance contraint les responsables politiques à être d’une extrême vigilance dans l’exercice du pouvoir. M. Maudet, en charge du DES, dont le rôle est précisément de faire appliquer les lois, remplit son devoir de diligence en exigeant que l’Usine se mette en conformité avec la LRDBHD, d’autant plus que l’Usine est devenue le plus grand débit de boissons à Genève.
En revanche, on peut déplorer que l’Usine s’enferme dans des postures de principe, et que sa parole (même fixée sur Internet) ne pèse pas lourd ! Dans son communiqué de presse du 5 mai 2015, on peut lire : « après plus d’une année d’un blocage administratif et politique, une issue se profile ». Une convention tripartite entre l’Etat, la Ville de Genève et l’Usine est ratifiée :
« Le 17 avril dernier, des représentant-e-s de L’Usine ont rencontré Mr Maudet et Mme Emery Torracinta. Cette rencontre a débouché sur un accord entre les parties, une entente qui permet à L’Usine de poursuivre ses activités dans un cadre légal. L’Usine a obtenu que le régime des deux autorisations (activités culturelles et débits de boissons) soit provisoirement maintenu jusqu’à l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur la restauration, les débits de boissons, l’hébergement et les divertissements (LRDBHD). Ensuite, elle devra demander 5 autorisations distinctes pour l’exploitation de ses cinq buvettes. L’Usine sera reconnue en tant que lieu à vocation culturelle, au sens de la LRDBHD, et à ce titre est exemptée d’autorisation pour sa programmation régulière et ordinaire. L’Usine a donc dit oui à Mr Maudet : un oui de dépit » (Communiqué de presse de l’Usine, du 5 mai 2015).
Cette volte-face de l’Usine n’est pas acceptable. Comment peut-elle ratifier une convention pour la piétiner ensuite sous prétexte qu’elle l’aurait conclue par dépit ? Son attitude est pour le moins légère. Elle organise une manifestation nocturne, non autorisée, qui entraine des déprédations en ville. Elle use d’un ton guerrier qui rend tout dialogue difficile et d’un discours chargé de contradictions :
« L’Usine revendique l’autogestion et une responsabilité collective, sa structure s’affranchit des notions de hiérarchie ou de subordination. »
Ne s’autoproclame-t-elle pas un lieu “autogéré” et “autonome”, alors qu’elle est subventionnée par les fonds publics? L’Usine refuse d’obtempérer à la LRDBHD sous prétexte que ces autorisations mettent en péril son fonctionnement solidaire, collectif, unitaire et autogéré, et ne seraient que des découpages administratifs et des “saucissonnages”. Pourtant, l’Usine ne rechigne pas à saucissonner ses demandes budgétaires afin d’optimiser ses subventions…
L’Usine, ne se claquemure-t-elle pas dans des postures idéologiques en refusant tout compromis ? Le Conseiller d’Etat, M. Maudet, n’a jamais fermé sa porte au dialogue, comme l’a finalement admis M. Kanaan à la séance du conseil municipal du 28 octobre. En effet, ce dernier a avoué qu’il s’était trompé en prétendant qu’il n’y avait plus de dialogue entre l’Usine et l’Etat puisqu’une rencontre avait eu lieu le lundi 26 octobre entre les représentants de l’Usine et ceux du DES, où une proposition constructive aurait été discutée. Il faut dire et redire que l’Etat ne veut pas fermer l’Usine ! Les esprits avertis savent que l’Usine est un lieu précieux à Genève. Des artistes y font leurs premières armes et explorent des langages artistiques. L’Usine est aussi un espace convivial où se retrouvent les jeunes et moins jeunes, les plus démunis et les moins démunis, les originaux et les moins originaux… Que l’Usine parvienne à dédramatiser sa situation, à être moins dans des oppositions systématiques ! Qu’elle puisse aussi être plus solidaire des autres enseignes genevoises, qui doivent lutter pour leur survie sans recevoir de subventions.
En définitive, le plus indécent dans le conflit avec l’Usine, se trouve moins dans l’insoumission d’une jeunesse en quête de modèles sociétaux différents, que dans les excès qu’il a entraînés au Municipal.
Un conseiller municipal, par exemple, s’est permis de traiter les jeunes de l’Usine de “sauvageons”, de “hordes de barbares”. Un élu a osé accuser le Conseiller d’Etat d’être responsable des déprédations commises lors de la manifestation de la nuit du 24 au 25 octobre, en prétendant que : « les commanditaires de cette casse ne sont pas à chercher dans le rue et dans l’Usine, mais du côté de Maudet ». Une élue, emportée par sa diatribe, annonce qu’on «assiste à la mort de la culture par une phrase qui a été répétée : “la loi c’est la loi” ! », que la LRDBHD, hygiéniste et cantonale, n’aurait pas à être utilisée dans les décisions municipales, car : « est-ce qu’on est un parlement politique ou est-ce qu’on est juste des animaux domestiqués de la politique du canton ? » Toutefois, la palme de l’outrecuidance revient certainement à deux magistrats de la Ville de Genève : M. Sami Kanaan et Mme Sandrine Salerno.
Dès le mardi, M. Kanaan a jeté de l’huile sur le feu en déclarant que l’Etat ne doit pas adopter une attitude répressive, qui exacerbe les violences. Il a ensuite évoqué les scènes de violence à Zürich (dans les années 1990, Zürich était devenue la capitale européenne de la drogue). Non seulement on peut reprocher à M. Kanaan son anachronisme, mais aussi se demander si lancer des menaces pour plaider le droit de l’Usine de contourner la loi est vraiment digne d’un magistrat…
Puis, M. Kanaan, sans percevoir de contradiction entre sa proposition et son attitude, a offert de devenir le médiateur : « l’Usine m’a sollicité, mais le canton n’a fait aucune démarche. » Toujours avec la même délicatesse, il a déclaré que nous sommes face à un conflit administratif entre l’Usine et le canton, car : « un département cantonal qui applique la loi, c’est un conflit avant tout administratif…» ! Entre ces propos et ceux du lendemain, M. Kanaan mérite certainement de recevoir le grand prix du Maire de Champignac, comme vous pouvez en juger :
« Je veux bien m’engager pour initier des démarches qui permettent d’aboutir à des solutions positives […] mais moi, je ne suis pas le magistrat responsable de ce dossier. Celui qui est responsable en Ville de l’application de la LRDBH, c’est M. Barazzone. Je veux bien faire le médiateur, mais faut pas m’envoyer dans des dossiers qui ne sont pas de mon ressort. » (propos de M. Kanaan, tenus le mercredi 28 octobre)
Quant à Mme Salerno, ses propos sont tout aussi édifiants ! Une fois encore, notre magistrate (en charge des finances en Ville de Genève) nous a servi sa logorrhée contre les riches, les discriminations et les injustices qui justifieraient l’insubordination de l’Usine. En effet, pour la magistrate socialiste, en suivant sa logique, les lois n’auraient pas à être toujours respectées puisque :
« Ce sont les députés qui font les lois. Elles sont le fait des hommes et des femmes, appliquées par des femmes et des hommes […] Les lois ne nous donnent pas à toutes et à tous les mêmes opportunités. Débattons sur les lois fiscales ! Les lois fiscales, les avantages fiscaux, ne traitent pas les contribuables de la même façon. On n’a pas les mêmes statuts, les mêmes droits selon par exemple l’orientation sexuelle. Donc la loi est bien imparfaite. »
On connaissait la propension des socialistes à concocter ou à soutenir des initiatives au mépris de la loi. Pour rappel, l’initiative d’un impôt fédéral sur les successions et les donations, soutenue par les Socialistes, bafouait le principe de non-rétroactivité, inscrit dans notre Constitution. En relativisant la loi, Mme Salerno va encore plus loin. Elle affiche un mépris de notre Etat de droit et son corollaire : notre démocratie. Qu’on se le dise, et qu’on se le rappelle…