Marchands de doute
C’est sur le thème du savoir au service des droits de l’homme que le Dies Academicus a tenu, le 12 octobre dernier, sa cérémonie.
L’édition 2012 a permis de décerner le titre de docteur honoris à cinq prestigieuses personnalités et de remettre divers prix et médailles.
Mais, cette cérémonie restera surtout dans les mémoires comme un moment privilégié, où des intervenants ont su mettre une belle langue au service d’une belle pensée.
Parmi les orateurs, je citerai Michel Serres.
Il est vrai que ce philosophe et scientifique possède l’art de captiver son auditoire, en usant de l’art du récit avec, ce qui ne gâte rien, un fond d’accent gascon, qui enracine cette voix dans du concret palpable et saisissable. C’est avec un personnage qu’il nomme, dans une métaphore filée, sa petite Poucette, que Michel Serres nous ouvre, avec internet, l’espoir d’un monde plus démocratique.
Une autre intervention remarquable, et qui faisait peut-être le pendant de l’optimisme de Michel Serres, a été celle du recteur de l’Université de Genève, le Professeur Jean-Dominique Vassalli.
Plaidant pour un savoir universitaire exigeant, le recteur de l’université dénonçait les marchands de doute. Pour lui, le doute, semé volontairement, mettrait même en péril nos sociétés. A cet égard, le rôle de l’université serait d’apprendre aux étudiants à poser correctement des questions pour surmonter les incertitudes et dépasser l’ignorance. Effectivement, il est pertinent de rappeler la dimension pernicieuse du doute ! Car, le doute n’est pas l’étonnement ! Il en est même son contraire. L’étonnement a une valeur heuristique. L’étonnement amène à poser des questions et est à la base de la connaissance scientifique ou philosophique comme le montrait Jeanne Hersch.
Le doute avec ses tentacules paralysants entretient la confusion mentale et conduit à l’aveuglement.
Ne croyant à plus rien, ne faisant plus confiance à personne, on se replie sur soi, on s’enferme dans sa bulle.
Le doute est la porte ouverte au désespoir et partant de là au fanatisme. Pour éviter que d’autres Jeremy (le jeune français, embrigadé dans une mouvance terroriste et entraîné dans des camps afghâns pour devenir un poseur de bombes) ne s’égarent, il faut chasser les marchands de doute.
Chasser les marchands de doute ! Tâche difficile à l’heure où le monde s’enlise dans une crise économique, où 50% des jeunes Espagnols sont au chômage, où les magouilles et tricheries servent souvent de leviers à une “réussite” facile pour des sportifs (Amstrong), des banquiers (le trader Kerviel), des gouvernements (les faux bilans de la Grèce)… et où vendre le doute sert les intérêts de mafieux, de potentats ainsi que ceux du consumérisme.
Pour chasser le doute, il faut aussi commencer dès les classes maternelles !
Or, l’école, aujourd’hui, s’égare. Voulant, dès les classes enfantines, par un souci d’efficacité, frotter l’élève aux réalités du monde, elle l’abreuve des maux de notre planète (la pollution, la destruction des forêts, le tri des déchets, le réchauffement climatique…). Pétrie d’une vision managériale, l’école entretient ainsi une forme de désespérance. Si l’école peut bien apprendre aux élèves à trier les déchets et à se familiariser avec des règles de nutrition (comme elle a transmis au XIXe des règles élémentaires d’hygiène), elle doit néanmoins penser à la dimension du rêve et tisser des récits pour que l’enfant puisse surmonter ses angoisses, avoir envie de découvrir le monde et de construire l’avenir, vouloir grandir…
Là, l’enseignant pourrait à son tour inventer une petite Poucette ou puiser dans des contes existants en y mettant du ton et de l’ardeur. Car, raconter des histoires, des récits épiques, les aventures de la science, les voyages des grands explorateurs, la découverte de l’espace, c’est transmettre des modèles à admirer.
Or l’admiration et l’imagination, en éducation, ne sont pas ennemies de la rigueur !
A ce sujet, Michel Serres en est l’exemple vivant !