A Pascal Décaillet et Grégoire Barbey
Ce n'est pas seulement l'Histoire (avec un grand "H") qu'il faudrait privilégier à l'école, mais les histoires (avec un petit "h") pour développer ce que vous appelez dans vos blogs respectifs : « la citoyenneté ».
L'institution scolaire (faisant corps avec les valeurs de son époque) est malheureusement, aujourd'hui, claquemurée dans un "management" stérile où sont mis au devant de la scène scolaire : le rendement, l'efficacité, la gestion des équipes, le mieux vivre ensemble... quitte à oublier la question de l'humain, c'est-à-dire celle de la liberté.
Penser la liberté, c'est vouloir former des hommes (pris ici au sens générique et non pas comme synonyme de masculin) capables de s'engager, de choisir (d'exercer son jugement, ce à quoi prépare l'Histoire) et de participer à la vie de la Cité.
Aujourd'hui où "penser et gérer" deviennent équivalents et où l'intellectuel a été évincé par l'expert, l'école est tentée de mettre au placard tout ce qui lui semble inutile comme : l'Histoire, les langues anciennes, la poésie, le théâtre, la littérature...
Et, pour suivre l'air du temps, l'école use d'un langage "abs-cons" pour se donner le vernis d'une modernité (qui certes n'en n'est pas une !) et nous abreuve de sigles incompréhensibles. Par exemple, on parle du « MMF » (mon manuel de français) et ce, même avec les élèves !
Quant aux premiers apprentissages de la lecture, on a introduit, avec la Plan d'étude romand, un sigle à l'allure anglaise : le « LEEP » (lecture émergente provisoire !!!).
Croire que "penser c'est inventer des formules" pour devenir incompréhensible (et n'être pas contredit !) n'est malheureusement pas l'exclusivité de l'école. Mais, à cet égard, l'école ne devrait-elle pas être une forteresse contre ces usages qui mettent en péril la pensée ?
Dans le temps scolaire, conçu donc avec des normes de management d'entreprise, on tend à écarter ce qui passe pour du temps gaspillé.
Lire des livres et des contes, raconter des histoires, réciter des poèmes, sont des activités tolérées, mais à dose homéopathique, dans les classes enfantines (je continue à appeler les premiers degrés les « classes enfantines » pour leur portée symbolique, même si Genève a supprimé cette appellation).
Alors que raconter, lire des histoires, introduire des récits sont indispensables pour le développement de l'enfant et pour ce que Pascal Décaillet nomme : « la mise en appétit de l'esprit citoyen ».
Ce n'est pas par petites cuillerées qu'il faudrait en donner aux enfant, mais à la louche et quotidiennement.
En effet, l'enfant, avec des récits, s'identifie aux personnages, dépasse ses peurs, se frotte à un langage riche, développe (en suivant la trame du récit) sa logique et surtout apprend à s'étonner.
Dans un récit, il y a des rebondissements, des surprises, des nuances qui permettent le recul ou la médiation. On n'est pas directement impliqué. On vise indirectement le lecteur qui peut transposer sa réalité.
C'est cette formation qui prépare le jeune élève à l'Histoire (avec un grand "H" ou comme disait avec humour Georges Perec : « l'Histoire avec une grande hache »).
Que le récit et la littérature retrouvent leurs droits dans les écoles et dans la formation des "instits". Ces derniers gagneraient d'ailleurs, durant leurs études, à lire « Poil de carotte », « Vipère au poing », « Émile ou De l'éducation »... romans qui leur seraient peut-être plus bénéfiques que certains textes indigestes qu'on leur fait ingurgiter à la Faculté de psychologie et sciences de l'éducation.
Mort aux sigles et vive le récit !