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L'écolier genevois vaut mieux qu'une oie à gaver

Le vote émotionnel sur le mercredi matin d'école attise les passions et les manipulations. En fait, pour que le citoyen genevois puisse voter plus sereinement, il suffit de rappeler trois évidences.

 

 

Premièrement. Genève a un horaire scolaire dans la moyenne supérieure suisse. Une comparaison éclairante : l'écolier genevois de 8 - 10 ans va 6 heures par jour à l'école (08h00 - 11h30 / 13h30 - 16h00); l'écolier vaudois ou jurassien du même âge s'y rend, lui, 5 heures (08h30 - 11h50 / 14h00 - 15h40 ou 08h20 - 11h50 / 13h45 - 15h20) et compense son horaire avec le mercredi matin.

Deuxièmement. Genève obtient de très bons résultats scolaires ! En effet, sur 16 régions qui ont participé aux tests internationaux PISA, 3 ont un score plus élevé que la moyenne nationale et 11 autres régions, dont Genève, obtiennent « un score moyen ne variant pas de manière statistiquement significative de celui de la Suisse » (PISA 2009 Résultats régionaux et cantonaux). En d'autres termes, le canton de Genève, avec un taux d'élèves migrants de 47% (le plus fort de Suisse) peut être fier de son école qui réussit à intégrer sa population hétérogène et à avoir des résultats « au dessus de la moyenne de l'OCDE ».

Troisièmement. En matière d'organisation scolaire, les cantons restent souverains. Certes, le concordat HarmoS, signé entre cantons, fixe quelques règles scolaires : âge d'entrée à l'école, durée de la scolarité obligatoire et quelques objectifs dans la formation de base. Mais, harmoniser ne veut pas dire uniformiser. Dès lors, pourquoi Genève devrait-elle introduire 4½ jours d'école (sans diminuer l'horaire des autres jours) ? Le fédéralisme, qui constitue la richesse de notre pays et préserve la paix sociale par le respect des différences culturelles et linguistiques, n'a pas à être réduit à néant.

Une autre réflexion majeure s'enracine dans notre histoire. Depuis 1888, Genève accorde un jour de congé dans la semaine pour ses écoliers. Ce canton urbain offre des activités extrascolaires très étoffées, et qui constituent pour le tissu économique genevois un enjeu majeur - à savoir des centaines d'emplois - chiffré en millions. Ainsi, plus de 6000 enfants participent, le mercredi matin, à ces activités. Faute de terrains de sport, de salles, de piscines, de professeurs disponibles, avec l'école le mercredi matin, ces activités ne pourront pas être déplacées à un autre moment dans la semaine. Pour les clubs sportifs, les cours qui reçoivent des subventions de l'Etat, les subventions seront à augmenter. On comprend qu'ils n'osent évidemment pas, ouvertement, soutenir le « NON au mercredi matin ». Pour les indépendants, le scénario est plus sombre : mettre la clé sous la porte.

Dernière remarque. Le Plan d'étude romand (PER) n'implique ni augmentation d'horaire ni exigences accrues pour les élèves, mais il introduit 2 périodes d'anglais dès la 7e primaire. Les auteurs de ce Plan d'étude ont certainement voulu offrir un outil professionnel et performant qui traite : « des problématiques liées au développement durable [qui] impliquent d'appréhender de manière systémique la complexité du monde dans ses dimensions sociales, économiques, environnementales, scientifiques, éthiques et civiques ». Notons cet oubli : un Plan d'étude doit être un ouvrage court et il est censé donner, en abrégé, les grandes lignes d'un programme scolaire. L'étaler dans trois coffrets manifeste la difficulté des auteurs d'user d'un esprit de synthèse. L'enflure l'emporte sur l'exigence !

Au début du XXe siècle, l'impératif était de former des ingénieurs et des techniciens. D'où des programmes scolaires introduisant le dessin technique, la rhétorique, le graphisme, la morale et l'hygiène...  En 2012, la pratique des langues est, à juste titre, privilégiée et les conséquences en sont évidentes. Au lieu de gonfler inconsidérément l'horaire de l'écolier genevois - déjà parmi les plus chargés d'Europe ! - il y a lieu de diminuer certaines disciplines, abondamment enseignées à Genève (géographie et histoire), pour introduire dès la 7e année 2 périodes d'anglais. Rien de plus facile et qui coûtera moins cher au contribuable genevois ! Il est bon de signaler ici que les 20 millions prévus par le Parlement pour appliquer cette loi ne prennent pas en compte les coûts communaux pour l'ouverture des écoles le mercredi, qui feront exploser leurs budgets...

Conclusion. En éducation, les règles absolues n'existent pas ! A coup sûr, pour certains enfants, l'école peut être un lieu de refuge. Et même si  « davantage » d'école peut leur être bénéfique, cette augmentation de l'horaire scolaire, qui les soumettra, à l'âge de 8 ans, à un horaire aussi chargé que les jeunes de 14 ans, nombre d'éléments laissent à penser que cette réforme est mal pensée, qu'elle est radicalement mauvaise et néfaste. Quel est l'individu qui voudrait changer le contenant sans penser au contenu ? Ainsi, qui donnera les heures supplémentaires puisque les enseignants, n'ayant pas d'augmentation d'horaire, seront remplacés 4 heures dans la semaine par d'autres enseignants ou suppléants ? Que va-t-on ajouter comme enseignement  durant ces 4 heures ? L'enfant n'est pas une oie à gaver et l'enseignement n'est pas un simple conditionnement pavlovien.

 

Michèle Roullet

Docteur en Sciences de l'éducation

Présidente du GRÉ (Groupe de Réflexion sur l'École)

www.nonaumercredimatin.ch

Article publié dans LE TEMPS, rubrique : « Débats », le lundi 5 mars 2012.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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