Le DIP et les mots écorchés
En élève très appliqué, le Département de l'Instruction publique (DIP) rédige des circulaires en indiquant à l'aide d'un procédé typographique, notamment de tirets, le féminin et le masculin des noms (et également le pluriel).
Le courrier, ainsi libellé, prend une étrange allure, avec des mots écorchés et même charcutés, comme dans l'exemple ci-dessous :
« Si un-e-des enseignant-e-s expérimenté-e-s et un-e-des chargé-e-s d'enseignement ou un-e-des suppléant-e-s désirent former un-e équipe, il-elle-s doit-vent informer un-une-des directeur-s-trice-s auquel-à-laquelle-auxquel-les-s il-elle- est-sont rattaché-e-s. Toutefois, seul-e-s le-la-les enseignant-e-s concerné-e-s et qui en fera-ont la demande auprès de son-sa-leur directeur-trice-s attitré-e-s pourra-ront bénéficier de cette disposition. Le-la-les enseignant-e-s qui utilise-ent ce mode de fonctionnement est-sont tenu-e-s d'en informer le-la-les responsable-s légal-e-aux de ses-leurs élèves et d'aviser son-sa remplaçant-e » :
Si en lisant ce texte aucun agacement ne vous a saisi, vous pouvez abandonner ici la lecture de ce papier qui ne vous concerne pas.
Pour les autres, je continue. Bon, j'ai peut-être un peu exagéré le trait, mais à peine, car l'exemple donné ci-dessus est bien tiré d'un courrier reçu, il y a peut-être deux ans, dans les écoles primaires genevoises.
Si, j'ai choisi cet exemple, c'est qu'il est illustratif d'un traitement de la langue, très pratiqué dans notre canton (et je crois également dans le canton de Vaud), non seulement au sein du département de l'instruction publique, mais également dans d'autres départements.
En effet, il semble qu'on confonde, à Genève, la fonction et le sexe ou bien qu'il existe une volonté d'instrumentaliser la langue, pour instrumentaliser l'humain...
Toutefois, cette maltraitance de la langue est d'autant plus problématique lorsqu'elle est pratiquée dans le monde scolaire et par ses dirigeants. En effet, l'école, lieu de formation de la jeunesse, ne devrait-elle pas se montrer extrêmement respectueuse envers notre belle langue française ?
Car, l'école, tout particulièrement, devrait être un bastion de résistance, le lieu où l'on apprend que bien penser, c'est, avant tout, avoir une attention toute particulière au langage, avoir le souci du terme exact et précis afin d'augmenter notre compréhension du monde.
A dire vrai, les mots ne sont pas que de simples objets utilitaires que l'on peut modeler à sa convenance ou pour satisfaire une idéologie. Ils impriment un rapport à soi-même et aux autres. La tyrannie ne commence-t-elle pas toujours par la dépossession du langage ? N'enlève-t-on pas d'abord la chair des mots, pour écorcher l'humain ou pour avoir, au bout de la mire, le contrôle des comportements ?
La vigilance ne devrait pas se relâcher. Mais, à cet égard, la diffusion par voie informatique du courrier n'aide pas. Car, sous forme de papier, un courrier, avec une langue si charcutée, ne peut que nous tomber littéralement des mains. Impossible de poursuivre la lecture ! Tandis qu'avec l'informatique (qui permet une augmentation exponentielle d'envois), submergé par tant de missives, l'œil se fait distrait. D'ailleurs, on ne lit pas un écran, mais on le parcourt des yeux.
Bref, si l'écran nous permet d'économiser notre adrénaline, il endort aussi peut-être quelques principes de civilisation et de liberté.