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Humeur - Page 11

  • Je ne sais plus où donner de la plume

    Laisser trop longtemps sa plume dans son étui n’est pas salutaire. Elle tressaille, tressaute et s’irrite d’avoir été mise au rancart.

    Encore engourdie, elle s’offusque d’avoir été délaissée et veut reprendre du service, car elle prétend avoir des “choses” à dire ou plutôt à écrire…

    Je voudrais la retenir, mais impossible, car je lui ai cloué le bec depuis trop longtemps et elle me fait sa crise.

    Bon, sentant qu’elle me glisse entre les doigts, je la laisse s’ébrouer, sachant d’avance qu’elle va exagérer et saisir, en affamée, une grappe pléthorique de sujets.

    Mais, quitte à perdre des plumes, il me faut bien autoriser ma plume à se dissiper, à s’égarer, à tracer peut-être même des “bibelots d’inanité sonore” pour pouvoir, peut-être, retrouver une voix. Reste que je ne sais plus vraiment où donner de la plume. Tant de sujets ! Alors, pas tout à fait par hasard, je choisis trois sujets qui ont défrayé ces temps les médias.

     

    1. Tout d’abord, cette proposition de deux professeurs belges (une vraie blague belge, puisque ce ne peut être un poisson d’avril !) de supprimer l’accord du participe passé au féminin. Ces professeurs n’auraient-ils pas passé de trop longues vacances d’été et éprouvé le besoin, à la rentrée scolaire, de créer un buzz pour exister à nouveau ? En tout cas, certains ont mordu à l’hameçon et se sont mis à gémir sur les difficultés de la langue française en plaidant qu’il faut la changer. On subit déjà, depuis quelques années, les oukases de ceux qui, confondant le genre des mots et le sexe, veulent imposer un langage dit “épicène” si lourdingue qu’on ne parvient plus à débattre de quoi que ce soit sans avoir un redresseur du langage qui censure nos propos au nom de la défense de la cause des femmes. Et, étrangement, ce sont ces mêmes “épicéniens” et ”épicéniennes” qui, offusqués par la complexité de la langue française (qui nuirait à la communication et au “vivre ensemble”) seraient prêts à faire passer à la trappe l’accord féminin du participe passé avec l’auxiliaire avoir ! Heureusement, comme je l’ai déjà écrit dans un billet, « la langue a une vie propre à laquelle on ne peut rien. »

     

    1. L’autre sujet qui m’a fait bondir, c’est cette idée folle qui a saisi le parlement de Neuchâtel, qui a décidé de débaptiser le nom d’une place (l’Espace Agassiz) pour le remplacer par le nom de la première Neuchâteloise élue au Conseil national. Sur ce sujet, lire l’excellent article de Julien Sansonnens (in, Le Temps). 

      Pourquoi, ce changement de toponymie ? Parce que le parlement neuchâtelois a trouvé que M. Agassiz, grand savant du XIXe siècle d’une réputation mondiale, avait émis des propos racistes. Faut-il rappeler que la XIXe siècle (siècle de la science !) s’est passionné pour la phrénologie qui prétendait, avec l’étude de la forme du crâne, pouvoir déceler le caractère d’un être humain (son intelligence, ses dons, etc.) et hiérarchiser les races humaines. Avec nos critères actuels, tout le XIXe siècle serait donc raciste ! Il est donc absurde de s’emparer du passé pour faire triompher ses propres idéologies. L’histoire ne doit pas servir à censurer nos prédécesseurs, mais nous permettre de mieux comprendre notre époque. Se porter en justicier du passé est une lâcheté pour n’avoir pas à penser les problèmes actuels. Cette négation de l’histoire aura des effets boomerangs ravageurs avec des chasses aux “impurs” sans fin. Débaptisera-t-on un jour le collège André-Chavanne sous prétexte que ce conseiller d’Etat était un “trop” bon vivant qui aimait beaucoup boire et… 

    1. Le troisième sujet que je voulais aborder, c’est l’affaire Maudet. Cependant, les salves tirées avec une délectation par des prédateurs et des chacals qui jouissent de voir ce brillant politicien pris les doigts dans le pot de confiture, m’indignent. La faute commise mérite-t-elle que ce conseiller d’Etat y laisse tant de plumes ? Ce sera à la justice de faire son travail en toute indépendance.

     

     

  • Mort du DIP !

    Aujourd’hui, 31 mai 2018, dernier jour du Département de l’instruction publique (DIP) ! Anne Emery-Torracinta (en charge de ce département) a pris la résolution de débaptiser le DIP pour le renommer le DFJ (Département de la formation et de la jeunesse). Cette décision est vraiment malheureuse et m’a profondément heurtée.

    Peut-on, lorsqu’on est en charge de l’école, mettre à la poubelle une terminologie si familière et enracinée dans le paysage genevois au point qu’elle en est devenue un héritage langagier et culturel qui appartient à tous, et qu’il n’est pas tolérable de brader d’une manière si désinvolte. Bien sûr, Anne Emery-Torracinta, en tant que conseillère d’Etat, a la compétence de modifier le nom de son département. Toutefois sa décision est une véritable sottise qui n’augure rien de bon pour cette nouvelle législature.

    Reste que cet irrespect pour les usages et traditions de notre canton reste à questionner. D’où vient cette propension à modifier incessamment les appellations des Services, prestations et départements de l’état ?

    Ces changements (qui envahissent particulièrement le DIP !) s’imposent parfois d’une manière cohérente, suite à une réorganisation des départements. Par exemple, le département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé (DEAS) de la précédente législature, devient le département de l’emploi et de la santé (DES) attribué à Mauro Poggia, car les affaires sociales rejoignent le nouveau département de la cohésion sociale (DCS), attribué à M. Apothéloz.

    D’autres fois, en revanche, ces changements d’appellations visent d’autres buts dont il s’agit de ne pas être dupe, parmi lesquels :

    1. Donner l’illusion qu’on change des pratiques sans avoir besoin de les penser et encore moins de songer à les modifier ! En bref, cela permet, à des démagogues, de prétendre réformer un Service pour le moderniser, pour le faire évoluer tout en restant dans l’immobilisme. Ces changements servent alors d’écrans pour masquer une forme de déficience (ou paresse) dans la gestion des affaires publiques ;
    2. Détourner le public de tout débat ! Avec ces modifications terminologiques et nouveaux sigles, le public a l’impression d’être largué, de ne plus comprendre de quoi on parle. Par exemple, au primaire, le maître d’appui (qui apporte un appui auprès des élèves en difficultés d’apprentissage) est passé d’enseignant déchargé de tenue de classe à généraliste non titulaire de classe (GNT) où seuls les initiés peuvent s’entendre ;
    3. Faire place nette et évacuer toute référence à un passé pour s’autoproclamer novateur. C’est une stratégie très efficace dans des enjeux de pouvoir où la revendication d’être dans du neuf assigne, à ceux qui contestent cette nouveauté, une place de passéistes qui ne savent pas s’adapter au changement du monde ;
    4. Utiliser la langue comme arme pour imposer sa vision du monde en l’occurrence, là, de l’école. Comme l’a magistralement bien analysé Jean-Romain (in "Invité" de la TdG du 29 mai), la suppression du terme « instruction » et de l’adjectif « publique » n’est pas anodine. En remplaçant le mot « instruction » par « formation », on modifie la perception de l’école. On ne met plus l’accent sur sa mission d’instruire (en transmettant à tous les élèves des savoirs inscrits dans un programme scolaire), mais on envisage l’école comme un lieu parmi d’autres où l’on vient se former !

    Plier le langage pour imposer ses idéologies. C’est ainsi que l’école a congédié le maître pour accueillir l’enseignant qui sera peut-être dans un proche avenir remplacé par le formateur ou l’animateur socio-scolaire…

    Résistons à ces modifications qui, non seulement gaspillent l’argent public (changement des programmes informatiques, des entêtes des papiers à lettre, etc.), mais encore ambitionnent de “dé-former” les esprits, et continuons à parler du DIP.

    Le Genevois sait bien râler et entrer en résistance. Plus de 20 ans qu’on a voulu supprimer les “Promotions” pour les remplacer par la “Fête des écoles”! Mais, heureusement, le peuple n’aime pas qu’on le prive de ses traditions...

     

     

  • Liberté d’importuner ou liberté de draguer ?

    Les propos de Christine Bard, recueillis par Faustine Vincent, (in Le Monde) et publiés aujourd’hui dans Le Temps sous le titre : « Une rhétorique antiféministe », sont édifiants, tant ils manquent d’une retenue qu’on pourrait attendre de la part d’une historienne.

    Dans cet article, Christine Bard, « historienne et spécialiste du féminisme », dénonce avec animosité la tribune d’un collectif de 100 femmes dont fait partie Catherine Deneuve, qui défend, en réaction au mouvement planétaire «#balancetonporc »,  la « liberté d’importuner ».

    Et bien, toute spécialiste du féminisme que soit Mme Bard, je qualifie sa rhétorique, à elle, de « rhétorique militante d’intimidation ».

    En effet, cette intellectuelle a l’outrecuidance de décrire son féminisme de « processus révolutionnaire en marche, fragile, mais qui change et changera nos sociétés de fond en comble ». Avec un ton outrancier, cette ardente militante de la cause du genre brandit l’étendard d’un monde neuf pour dénigrer ceux qui n’approuveraient pas le féminisme, « ce processus révolutionnaire en marche ».

    Ainsi, pour elle, les voix résistantes, qui peuvent même venir de femmes (« car il y a toujours eu des femmes antiféministes qui ont craint ces changements et estimé dangereuses les revendications féministes ») ne se rallieraient pas au mouvement « #MeToo » par crainte du changement ! Bref, ces voix contestataires seraient celles des pleutres !

    Un tel radicalisme me fait frémir, d’autant plus lorsqu’il est promu par une historienne. La tâche première de l’historien n’est-elle pas de faire entendre des voix oubliées ou minoritaires pour restituer la complexité de toute théorie et opinion ?

    Or, plus grave encore, Christine Bard, dans un style de propagande dont l’histoire a connu ses heures obscures, manipule le récit du féminisme. En effet, retraçant trois vagues historiques du féminisme, cette experte se garde bien de citer l’engagement de Catherine Deneuve dans ce qu’elle décrit comme la deuxième vague du féminisme, celle « des années 1968 à la fin du XXe siècle, (qui) a mis la sexualité et le droit de disposer de son corps au cœur de son combat ».

    Oser traiter Catherine Deneuve et la tribune de ce collectif d’antiféministes, en occultant que l’actrice a eu le courage d’être l’une des signataires du manifeste des 343, est une imposture intellectuelle. Pour rappel, le « manifeste 343 », publié dans le Nouvel Observateur en 1971, fut signé par 343 Françaises qui déclaraient s’être fait avorter.

    Manisfeste des 343 salopes.jpeg

    Or, à cette époque, l’avortement en France était illégal et les contrevenantes s’exposaient à des poursuites pénales, qui pouvaient aller jusqu’à l’emprisonnement. Catherine Deneuve fait ainsi partie de ces femmes courageuses, qui furent injuriées, appelées même « les 343 salopes » ! Elle a pris des risques pour dépénaliser l’avortement en France et permettre aux femmes de disposer de leur corps. Par ailleurs, sa vie, si libre, montre que, pour cette femme, le respect mutuel et l’égalité des sexes ne sont pas un verbiage creux.

    Le ton de moralisatrice qu’adopte Christine Bard, qui prétend « construire un nouveau monde », est insoutenable. Cette logorrhée qui veut purifier nos existences, outre qu’elle pollue nos existences, est mortifère. L’histoire ne nous donne-t-elle aucune leçon ? N’avons-nous plus aucune mémoire des régimes totalitaires (de gauche ou de droite) : nazisme, stalinisme, maccarthysme, Khmers rouges… qui avaient tous pour ambition de purifier la Société ? Apparemment, cette historienne, trop enfermée dans son militantisme, oublie de faire de l’histoire.

    Où nous mènera cette moralisation obsédante ? Faudra-t-il, après avoir ôté la cigarette de Lucky Luke, détruire les peintures dans lesquelles la femme alanguie, évoque des poses séductrices (Rubens et les autres), interdire les films qui donnent une mauvaise image de la femme (Belle de jour, Portier de nuit et bien des Hitchcock …). Bref, pour moi, pas de doute, entre une intellectuelle qui nous expose une pensée bien convenue, marquée par notre époque puritaine et moralisatrice et une Catherine Deneuve qui ose déplaire, je choisis celle qui défend la liberté.

    Néanmoins, je n’aime pas l’expression « la liberté d’importuner ». Dans une société civilisée, la courtoisie devrait régler nos conduites et nous retenir d’importuner.

    J’aurais préféré que cette tribune des 100 femmes défende, pour tous,  « la liberté de draguer ! »