Polarisation et dégradation
Le vote de dimanche « contre l’immigration de masse » est un vote de contestation qui révèle un mécontentement du peuple suisse, qu’on ne peut balayer à coups d’explications réductrices (peur, xénophobie, manipulations “blochériennes“, etc.).
Les voix, qui ont soutenu l’initiative de l’UDC, venues, mathématiquement, de tous les bords politiques, avaient des mobiles divers.
Certaines trouvent que le monde évolue trop rapidement et dans un sens où le peuple n’a plus rien à dire, dirigé par des experts internationaux ou par les barons de l’Union européenne, qui imposent des règles technocratiques dans tous les domaines, pour le “bien communautaire”, mais qui finissent souvent par polluer la vie de tout le monde.
D’autres, persuadées que l'initiative ne passerait pas, ont voté “oui” pour manifester leur désaveu envers les autorités fédérales, trop enclines, selon elles, à s’incliner devant les attaques venues de l’extérieur de la Suisse.
Certes, ce vote sanction ne va pas aider les négociateurs et diplomates suisses à faire entendre les positions d’un tout petit pays qui n’a pas de grands moyens de coercition. Encore que… Placée au cœur de l’Europe, la Suisse est difficilement contournable. Elle reste un axe majeur pour le transport des marchandises de toute l’Europe. N’est-elle pas aussi pionnière dans l’industrie de pointe et précieuse sur le plan diplomatique, financier, médical, etc. ?
Aussi, faudrait-il que l’Europe et la Suisse sachent raison garder à l’égard de ce vote du 9 février 2014. Ce vote exprime davantage un ras-le-bol général des attaques constantes dirigées contre la Suisse (qui accueille, proportionnellement, faut-il le rappeler, le plus grand nombre d’étrangers) et une montée des extrémismes partout, y compris en Suisse.
A cet égard, je crois que les médias endossent une lourde responsabilité dans la perte d’une culture de consensus (qui a fait le miracle de la Suisse) en exacerbant les polarisations politiques.
Combien deviennent rares les journalistes qui font un vrai travail d’investigation, qui vont chercher des sources, et qui mènent des entretiens ouverts !
Aujourd’hui, on a l’impression que la compréhension du politique passe après l’envie de “faire le buzz”.
Les partis modérés, les politiciens qui n’adoptent pas un ton moralisateur et manichéen, ne sont plus entendus et souvent même royalement ignorés.
Etait-il, par exemple, nécessaire, à peine sortis les résultats du vote « contre l’immigration de masse » que des journalistes radiophoniques de la RTS tendent, en premier, le micro à un Daniel Cohn-Bendit qui, se croyant encore sur les barricades de Mai 68, lance ses pavés sur la Suisse en traitant cette dernière d’un ton si vulgaire et méprisant que ceux qui n’auraient pas voté pour l’initiative de l’UDC se mettent presque à le regretter…
Un autre journal de Romandie, par paresse journalistique (ou pour “booster” ses ventes !) se complaît dans un style outrancier et publie, le lendemain du vote, une manchette sur laquelle on lit : « Honte d’être Suisse » (je ne sais pas si le journaliste qui a pondu cette ineptie connaît la honte !).
Enfin, un politicien de Zürich accuse les Romands d’être moins patriotes !
La Suisse est une mosaïque de cultures et de religions, qui est parvenue à coexister en pratiquant l’art du compromis. C’est sa richesse ! Or, aujourd’hui, la Suisse est en train de renoncer à sa spécificité pour adopter une culture d’oppositions.
C’est cette érosion du lien national qui menace le plus la Suisse…
En exacerbant les polarisations politiques, en parlant de “Röstigraben”, en entrant dans des conflits linguistiques et régionaux, ceux qui font l’opinion sont en train de faire vaciller la Suisse.
L’obligation d’étudier les langues nationales est de plus en plus remise en question. La langue française est même agressée politiquement. Des associations d’enseignants à Zürich, par exemple, ont demandé, d’écarter l’enseignement du français à l’école.
Ne faudrait-il pas cesser de parler d’une Suisse scindée en deux et retrouver une culture de consensus qui pourrait, elle, inspirer l’Europe ?