11 septembre et Soljenitsyne
Le 11 septembre 2011 fut intense : commémorations des attentats du World Trade Center à New York, de la catastrophe de la centrale atomique de Fukushima, mais également, l'une des journées européennes du patrimoine.
Comment la mémoire peut-elle traiter les catastrophes, les horreurs humaines ou même le passé ?
Les cérémonies de commémorations peuvent consoler, aider à surmonter des traumatismes, rendre hommage aux victimes, mais aussi exacerber les souffrances et le ressentiment.
Où se trouve la ligne de démarcation entre une mémoire qui libère et une mémoire qui enferme ? Je n'aurai pas l'outrecuidance de répondre à cette question.
Mais, durant ce 11 septembre 2011, où j'ai consommé avec excès des images des "twin towers" s'écroulant dans un nuage apocalyptique et des reportages sur les tragédies de New York et du Japon, j'ai également visité, dans « un monde sous nos pieds » des journées du patrimoine : la Fondation Bodmer.
C'est dans l'ombre de ce magnifique hypogée, et, plus précisément, dans son exposition consacrée à Soljenitsyne, que j'ai fait, ce 11 septembre, la rencontre la plus poignante !
Dans cette exposition qui montre l'unique manuscrit existant de Soljenitsyne (par sécurité, Soljenitsyne détruisait au fur et à mesure ses pages manuscrites, sitôt dactylographiées. Seul le manuscrit de « L'Archipel du goulag », caché dans une boîte de fer blanc et enterré, sera sauvé) et une foison de documents et d'objets, on devine combien cet écrivain, héros de la dissidence russe, a su, durant sa vie, cultiver à la fois l'oubli et la mémoire.
Dans une vitrine de la Fondation Bodmer, un objet modeste, ressemblant à un collier ou à un chapelet de perles d'inégales grosseurs, a retenu mon attention. Confectionné au goulag avec de la mie de pain, Soljenitsyne s'était créé un instrument mnémotechnique pour mémoriser son poème de 50'000 vers, "écrit" sans support papier.
Si je n'ai pas bien saisi le procédé technique, j'ai compris néanmoins que Soljenitsyne, pour s'extraire du goulag, avait osé sacrifier son pain. Or, qui a lu "une journée d'Ivan Denissovitch" connaît la valeur d'un bout de pain.
Mais, pour Soljenitsyne, créer une écriture poétique, mémoriser 50'000 vers pour s'échapper, oublier l'univers concentrationnaire, est un impératif de vie. Quelle belle leçon de liberté !
Ne nous souffle-t-elle pas aussi qu'il existe toujours une tension entre la mémoire et l'oubli, que l'oubli peut nous aider à sortir d'une prison qui fossilise notre moi, l'annihile, mais qu'il peut également devenir mortifère s'il n'est pas sublimé par une mémoire créatrice, nourrie d'une confiance (re)trouvée en l'avenir.
Entre oubli et mémoire, la frontière est ténue, poreuse et à inventer...toujours... C'est le message que j'ai entendu de Soljenitsyne ce dimanche 11 septembre 2011.