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Encore une note

Mon billet "Fausses notes à l'école" ayant provoqué de vifs commentaires, je poursuis ma réflexion sur l'initiative populaire : « Pour une note de comportement à l'école obligatoire » que lance l'Association Refaire l'École (ARLE).

 

 

Proposer une initiative populaire ne se réduit pas, il est vrai, à susciter un débat. L'objectif est plus ambitieux puisqu'une initiative vise à modifier une loi. Toutefois, je rappellerai à Jean Romain que, pour ne pas se laisser entraîner dans une "dérive émotionnelle", une initiative populaire ne peut pas faire l'économie d'un débat.

Qualifiée de « mesure simple » par ARLE, la note de comportement est présentée comme une aide pour les enseignants et un repère clair pour tous.

Certes, la mesure est simple !

Mais comment être simple sans devenir simpliste ? Là, est toute la question. L'introduction d'une note de comportement est-elle vraiment la panacée pour résoudre les problèmes d'indiscipline à l'école ? Peut-on lancer cette initiative sans se préoccuper des aspects pratiques et des effets que générerait cette note ? Ne doit-on pas considérer les mesures déjà mises en place pour lutter contre les indisciplines, au lieu de faire croire qu'à l'école, rien n'est entrepris et que l'on se contente de constater que des élèves perturbent et nuisent au climat scolaire ?

Tout d'abord, si la note est effectivement facilement lisible par tous, elle n'est nullement un outil simple, surtout lorsqu'il s'agit d'évaluer la conduite. Présenter cette note de comportement comme une note d'un genre nouveau, qui ne servirait pas seulement à punir les mauvais élèves, mais également à valoriser les bons, est une banalité. Toute note ou évaluation possède ces deux aspects : une face lumineuse qui valorise et une face obscure qui sanctionne.

Mais, je dis et redis qu'une « note de comportement qui n'entre pas dans le calcul de la moyenne scolaire » (Point 5 de l'initiative populaire de ARLE) n'est pas une vraie note. Elle est en quelque sorte "une note qui compte pour beurre" ou une note virtuelle. Par conséquent, elle n'aurait peut-être pas le caractère dissuasif qu'affirme ARLE. Mais, il est vrai que l'école bute face à ses contradictions, et qu'on imagine mal qu'un élève puisse doubler son année scolaire pour des motifs de discipline.

Des "petits malins", en pleine révolte, pourraient même (avec cette fausse note) jouer les caïds en établissant le record des zéros de conduite ! Par conséquent, loin de « créer un climat scolaire propice à l'étude », cette note pourrait exacerber les conflits et avoir des effets contre-productifs.

Pour ARLE, l'introduction de cette note de comportement permettrait d' « en finir avec l'impunité ». Cette affirmation est gratuite et dénigrante envers l'école traitée implicitement de "ventre mou", qui n'entreprend rien pour lutter contre les indisciplines et incivilités des élèves.

Cette allégation est inexacte. A l'école publique genevoise, au Cycle d'Orientation (en tout cas dans certains Cycles), des contrôles très stricts sont établis pour faire respecter les règles scolaires. Il existe, par exemple, un "Carnet de bord" que chaque élève doit avoir continuellement sur lui, à tous les cours. Si un élève oublie son Carnet de bord ou d'autres affaires (cahier, règle, etc.), l'oubli sera noté par le professeur, tout comme les devoirs non faits et les indisciplines. Ce "Carnet de bord", remis tous les quinze jours au "Prof de classe", donne lieu à une évaluation, suivie de commentaires, qui peut être valorisante ("TB continue"), encourageante ("Essaie d'être plus ponctuel"), menaçante ("Si la prochaine quinzaine tu continues avec ce langage, tu auras une retenue") ou punitive ("Tu as eu 2 remarques, tu as une retenue"). Il est donc faux de faire croire que l'école est devenue un lieu où tout serait permis.

Est-ce que la note donnerait une meilleure lisibilité du comportement de l'élève ? Toute note est rapidement saisie. C'est son avantage. Ses défauts résident par contre dans la difficulté à établir des critères objectifs (surtout pour le comportement) et dans les contestations incessantes qu'elle peut générer. Peut-on aussi sanctionner un élève de 8 ans, qui arrive en retard à l'école sachant la dépendance parentale dans laquelle il se trouve ?

Par ailleurs, au primaire, on peut sérieusement craindre qu'une note de comportement péjore le climat scolaire (déjà bien détérioré par les récentes réformes) et multiplie les conflits et les contestations. Des parents qui peuvent être dans le déni complet des difficultés de leurs enfants, exigeront une preuve au comportement déviant de leurs enfants. Or, comment prouver, par exemple, qu'un élève a craché sur un camarade ? Ils prendront alors d'assaut les directeurs et directrices des écoles primaires pour se plaindre que l'enseignant(e) persécute injustement son enfant et menaceront de déposer une plainte auprès du chef du DIP. Pas sûr que les directeurs et directrices soutiennent alors l'enseignant qui aura vite compris que s'il ne veut pas d'ennui, il lui faut éviter de mettre de mauvaises notes de comportement à ses élèves. Une fois encore l'aspect dissuasif de la note de comportement n'est pas certain...

A ce sujet, un témoignage d'un enseignant en Valais où les élèves, comme le rappelle André Duval dans son Blog (http://etsionenparlait.blog.tdg.ch/), ont des notes de conduite et d'application, est intéressant.

« Les élèves ont, effectivement, en Valais une note de conduite et une note d'application (pour évaluer l'ardeur, l'effort et le soin apporté aux travaux). Ce système de note n'a jamais été vraiment remis en question en Valais, car pour nous, les notes, c'est quelque chose d'acquis » (les notes scolaires, en Valais, sont semestrielles).

Ce même enseignant précise néanmoins qu'il est rare qu'un élève ait une note de conduite en dessous de 5. « Pratiquement tous les élèves ont une note de conduite entre 5 et 6 », car dit l'enseignant :

- « il y a, peut-être, peu d'élèves problématiques en Valais, et qu'un 4  de conduite amènerait l'élève à se faire sonner les cloches à la maison » ;

- « et cette note porte à discussion. Les critères sur lesquels elle est fondée ne sont pas solides. Comment évaluer le respect des camarades, le respect des règles d'établissement, le respect de la politesse ? Ce n'est pas facile. Il faut donc vraiment qu'un élève fasse le corniaud pour mettre une note au-dessous de 5 ».

Seulement voilà, ce qui se passe en Valais n'est pas forcément transposable à Genève. A suivre le témoignage de cet enseignant valaisan, on peut penser que les liens sociaux et familiaux sont plus resserrés en Valais qu'à Genève, et que l'autorité de l'enseignant est encore bien respectée.

Pour conclure, ce qui me rebute le plus dans l'initiative de ARLE, c'est la vision qu'elle porte sur l'humain ! Attachée aux valeurs libérales, d'une veine humaniste, je ne supporte pas cette idéologie de la transparence, où il faudrait établir toujours plus de documents avec des chiffres clairs, « compréhensibles par le maître, par l'élève, par les parents et par le monde professionnel » !!!

Cette idéologie de la transparence sévit déjà bien trop à l'école ! Au nom du fameux "rendre compte", l'institution scolaire a déjà introduit un carnet scolaire qui suit l'élève de la 1E à la 6P. Exigera-t-on bientôt que ce Livret scolaire suive l'élève jusqu'au Cycle d'Orientation ?

N'adhérant pas cette pédagogie de la continuité, mais défendant bien plutôt une pédagogie de la rupture, je me garde bien de lire, lorsque j'ai de nouveaux élèves, ce que les précédents enseignants ont pu écrire sur tel ou tel élève.

Où mène cette vision répressive (ou technocratique) de l'humain ? Oublie-t-on que l'enfant, comme tout être humain, possède une part de liberté et qu'il n'est ni immuable ni prévisible ?

Entrer dans le monde professionnel peut permettre à un jeune de trouver sa voie. Même le pire élève, placé dans un contexte différent avec d'autres partenaires, peut changer du tout au tout. Pourquoi donc présenter cette note de comportement comme un atout pour le monde professionnel ? Doit-on vraiment boucler l'avenir d'un jeune (à une époque où il est déjà si difficile pour lui de trouver une place d'apprentissage) parce qu'il aurait été un mauvais élève ?

Non, décidément, cette idée de "ficher" l'enfant dès les classes enfantines ne me plaît pas ! Elle est une vision inquiétante. Pour moi, éduquer et instruire, c'est faire un pari sur l'avenir d'un jeune.

S'inspirer du passé est une bonne idée. Mais plutôt que de reprendre des pratiques aujourd'hui inadaptées, il faut prêter l'oreille à ces voix du passé, à ce qu'elles ont à nous dire. Je donnerai le dernier mot à l'illustre Henri Marion, qui écrit en 1884 : « Former un homme est chose de finesse: c'est chose de péril: n'y hasardez pas l'infaillibilité d'une géométrie bien conçue et n'en espérez point la tranquillité suprême des démonstrations bien conduites. Il y aura lutte; il y aura de l'imprévu; il y aura les brusqueries, les coups de tête, les défaillances, les relèvements, les inerties, les miracles de la nature active et libre: il y aura tout le va-et-vient tumultueux, éclatant en harmonies ou dégénérant en chaos, qui est dans l'homme comme sur la mer ».

 

 

 

 

 

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