Un ex député socialiste veut lancer deux initiatives pour destituer Pierre Maudet
Dans la Tribune de Genève du mardi 8 janvier, on peut lire que Roger Deneys, ex député socialiste, « choqué par l’obstination de Pierre Maudet à s’accrocher au pouvoir […] veut lancer deux initiatives populaires pour changer les règles du jeu et fournir au Canton les outils pour se débarrasser d’un élu indésirable ».
Dans le monde politique, il faut toujours traquer les calculs. Or, nul doute qu’en voulant bouter Pierre Maudet hors du Conseil d’Etat, Roger Deneys rêve que les Socialistes puissent ravir le siège qui serait libéré.
Parallèlement, on peut aussi penser que cet ex député, candidat malheureux au Conseil d’Etat aux élections de 2013, est en mal de reconnaissance et cherche à être sous les feux de la rampe. C’est humain !
Mais, que demandent ces initiatives ?
- La première inscrira, dans la Constitution genevoise, le principe général de la destitution d’un conseiller d’Etat ;
- La deuxième réclamera « la destitution immédiate de Pierre Maudet “en raison des graves atteintes qu’il a portées à la dignité de son mandat” ».
Avant d’ausculter les tenants et aboutissants de ces projets, on peut s’étonner que Roger Deneys, avec son expérience politique, mise sur une “destitution immédiate” de Pierre Maudet. Les procédures des initiatives populaires (récolte des signatures, validation, éventuel contre projet, vote populaire, concrétisation) sont longues. Aussi, n’est-il pas exagéré de supputer qu’il faille trois à quatre ans, voire plus pour qu’une initiative entre en vigueur. Il en a fallu cinq pour que Neuchâtel change sa Constitution ! Et, il y a fort à parier que cette initiative ne sera pas validée par le Conseil d’Etat.
En effet, sous quelle légitimité, le Grand Conseil pourrait-il exiger la démission d’un conseiller d’Etat, élu par la population ? Le pouvoir législatif n’a pas de telles prérogatives sur le pouvoir exécutif. Et, c’est tant mieux ! Cela maintient la séparation des pouvoirs, véritable pilier de notre démocratie.
Quant au Conseil d’Etat, il serait tout aussi inquiétant de l’autoriser à destituer un de ses membres. Ce serait la fin de toute collégialité, le déni de la volonté populaire et le glissement progressif vers la dictature.
C’est pourquoi, à Genève, personne ne peut exiger la démission d’un élu, que ce dernier soit conseiller municipal, député, conseiller administratif ou conseiller d’Etat.
Et, cette règle est sage ! En effet, contraindre un élu à démissionner en arguant de la moralité, de la dignité ou de procédures pénales en cours ouvre la porte à tous les abus avec le risque :
- d’amplifier les dérives émotionnelles ;
- de favoriser une politique du spectacle où plus un parti (majoritaire) gueulerait, plus il parviendrait à se débarrasser d’un politicien gênant ;
- d’exacerber les rumeurs, diffamations et mensonges pour abattre un adversaire politique ;
- de faire le lit du totalitarisme dont les deux ressorts les plus profonds sont la sacralisation de la cause et la bonne conscience (in Ingrid Riocreux, « Les Marchands de Nouvelles »).
Ce glissement vers l’émotionnel, où toute conduite sera jugée à l’aune de la morale ou de la dignité, est la plus grande menace pour notre démocratie.
En effet, dans le projet de Deneys, les motifs de destitution ne se limiteraient pas aux seules infractions pénales, puisque « celui qui aurait enfreint gravement les devoirs de son mandat ou porté gravement atteinte à la dignité de son mandat, intentionnellement ou par négligence », pourrait être destitué.
Mais enfin, qui est ce Roger Deneys pour s’autoriser à juger ce qui est digne et ce qui ne l’est pas ! Ce donneur de leçons, ignore-t-il qu’une loi doit reposer sur une forme de sécurité du droit, qu’elle doit être gouvernée par un principe juridique.
En arrivera-t-on à créer une procédure d’ « impeachment » pour un élu qui aurait une affaire extraconjugale, qui serait addict à la cigarette, qui mangerait trop de viande ou n’utiliserait pas le langage épicène…
Pourquoi Roger Deneys s’acharne-t-il sur Pierre Maudet, alors qu’il se garde bien de dénoncer les fautes graves commises par des élus socialistes ou de gauche, en matière d’abus de pouvoir et d’utilisation des deniers publics ?
Le choix sélectif des indignations de Roger Deneys en dit long sur ce politicien gonflé d’autosatisfaction et de bonne conscience, et qui n’hésite pas à vouloir purger la société des “mauvais” éléments. A cet égard, le Grand Conseil se souvient encore de l’Interpellation urgente, déposée par ce garde-chiourme de la pensée, qui voulait sanctionner un professeur de l’Université de Genève, qui avait rédigé un texte qui n’entrait pas dans l’orthodoxie intellectuelle du député d’alors. Oui, rien que cela ! Roger Deneys voulait que le pouvoir législatif exerce un contrôle et une censure sur le monde académique !
En tout cas, en matière de dignité, Roger Deneys est sûr d’être expert ! Pourtant ce parangon de vertu, n’a-t-il pas été épinglé pour avoir posté sur des réseaux sociaux des propos discriminatoires envers une communauté ? Embarrassé, il avait alors admis avoir agi par négligence ! Cette étourderie a-t-elle porté atteinte à son honneur ?
Difficile de répondre à cette question tant Roger Deneys aime se draper dans sa vertu et sa dignité.
A moins qu’il ne se prenne pour César !