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  • L’Aquarius accoste au Municipal !

    Après une pétition signée par 25'000 citoyens, l’appel de personnalités (une ancienne conseillère fédérale, une ancienne procureure de la Confédération, un ancien président du CICR, un prix Nobel, un évêque…) et l’interpellation déposée au Conseil fédéral, le 26 septembre, par trois conseillers nationaux (la socialiste : Ada Marra, le PDC : Guillaume Barazzone, et le PLR : Kurt Fluri) qui demande au Conseil fédéral que le Département des affaires étrangères (DFAE) enregistre l’Aquarius dans le registre des navires suisses, l’Aquarius a débarqué ce mercredi, bousculant l’ordre du jour du conseil municipal en Ville de Genève.

    Pas étonnant qu’avec son gigantesque tirant d’eau, l’Aquarius ait créé des vagues au sein de ce plénum au point que les élus UDC, MCG et une majorité des PLR ont quitté l’enceinte du conseil municipal. Pour certains, l’issue du vote n’offrait plus le moindre intérêt, puisque le PDC soutenait M. Barazzone. Pour d’autres, la demande d’un débat accéléré de la gauche les a irrités, car ils se sont sentis privés de leur droit de s’exprimer. Néanmoins, à cet égard, aucune irrégularité au niveau du règlement du conseil municipal de la Ville de Genève n’a été commise. Toute délibération peut se faire en débat accéléré s’il est voté par la majorité.

    Ce n’est certes pas la première ni la dernière fois que le conseil municipal de la Ville de Genève  s’empare de sujets sur lesquels il n’a aucune compétence. On peut même dire que ce parlement en a fait sa spécialité. C’est ainsi que les élus de la Ville ont pu discuter des droits de l’homme en Turquie, de l’intervention de l’armée israélienne à la frontière de la bande de Gaza, de Théo, Bastien et Eleonora en attente d’un procès en France, « pour aide à l’entrée d’étrangers en situation illégale sur territoire national… », et bien d’autres sujets encore…

    Néanmoins, lorsque des vies humaines sont en jeu, peut-être faut-il savoir être un peu moins légaliste. Avec la demande d’accorder le pavillon suisse à l’Aquarius, qui émane de citoyens de bords politiques divers, ne nous trouvons-nous pas face à une cause humanitaire, qui dépasse les postures politiques habituelles, et qui peut bien bouleverser l’ordre du jour d’un parlement de manière à envoyer un geste symbolique à la Confédération ?

    D’après les chiffres donnés, l’Aquerius, ce navire humanitaire, a sauvé de la noyade, 30'000 personnes dont 6500 enfants. Avec Genève, berceau de la Croix-Rouge et des conventions de Genève sur les réfugiés, et qui abrite moult organisations humanitaires, la Suisse pourrait se montrer fidèle à sa tradition humanitaire et accorder le pavillon suisse à l’Aquarius. Oui, cela serait souhaitable !

    Mais, est-ce réalisable ?

    D’une part se pose un problème juridique. En effet, pour battre pavillon suisse, un navire doit être Suisse, donc avoir son siège en Suisse. Or, nul doute que l’association SOS Méditerranée, qui exploite l’Aquarius, n’est pas suisse, n’a pas son siège en Suisse et n’a aucune relation particulière avec notre pays. Donner à l’Aquarius le pavillon suisse reviendrait donc à transgresser la loi. Evidemment, la Confédération pourrait décider une dérogation pour octroyer le pavillon suisse à l’Aquarius. Néanmoins, une telle décision fragiliserait la Suisse et pourrait avoir des effets délétères. Par définition, toute loi est obligatoire. Elle a un caractère impératif et ne peut être modifiée en fonction d’aléas, de circonstances ou de causes, fussent-elles de nobles causes.

    La stabilité politique de notre pays est d’ailleurs notre valeur la plus précieuse. Ne la bradons pas !

    Racine ne nous dit pas autre chose avec Titus qui, devenant empereur, ne peut bafouer les lois et doit abandonner Bérénice, car :

    Rome observe aujourd'hui ma conduite nouvelle.
    Quelle honte pour moi, quel présage pour elle,
    Si dès le premier pas, renversant tous ses droits,
    Je fondais mon bonheur sur le débris des lois !

    On pourrait me rétorquer qu’il ne s’agit pas, ici, de littérature, mais de sauver de la noyade et d’une mort programmée des milliers de réfugiés qui se trouvent dans des situations tragiques. C’est vrai !

    D’autre part, accorder le pavillon suisse à l’Aquarius risque de mettre la Suisse en grande difficulté avec l’Europe et plus encore avec l’Allemagne. Rappelons que l’Aquarius est un navire allemand, exploité par l’Association SOS Méditerranée qui a son siège en Allemagne !

    Pourquoi l’Allemagne n’accorde-t-elle pas le pavillon allemand à ce navire ? L’Allemagne est assurément consciente que l’Aquarius est source de conflits en Europe. Plusieurs pays refusent qu’il accoste sur leurs côtes, obligeant ce navire à errer pendant des semaines en attente d’une autorisation d’entrer dans un port. Accorder un pavillon à l’Aquarius, c’est essuyer des tempêtes avec d’autres pays.

    C’est pourquoi, avant que la Suisse ne prenne une décision qui pourrait devenir un piège, laissons l’Europe avancer dans ce dossier de la migration et trouver des solutions plus justes et moins meurtrières comme d’ouvrir une voie légale à la migration.

    Mettre en danger les bons offices que la Suisse sait mener dans le cadre de la politique extérieure comme médiatrice dans la communauté internationale, pour secourir l’Aquarius, pourrait être une tragédie. Experte dans le soutien qu’elle peut apporter dans des négociations de paix (négociations de plus en plus urgentes dans ce monde où les guerres, les crises et les tensions géopolitiques n’ont jamais été si vives), la Suisse peut sauver des millions de vies humaines. Qu’elle ne l’oublie pas dans la décision qu’elle prendra au sujet de cette demande d’un pavillon suisse pour l’Aquarius.

    Aussi, laisserais-je à nos sept sages trancher ce choix cornélien de l’Aquarius. Pour ma part, j’ai préféré, comme conseillère municipale, voter une abstention sur le sujet.

     

     

     

     

     

  • La voix d’Antoine Sfeir s’est éteinte

    Début octobre, trois voix superbes nous ont quittés :

    - Celle de Charles Aznavour dont le monde entier a rendu l’hommage mérité à cet auteur-compositeur-interprète qui a enchanté des générations qui continueront à fredonner « La Bohème », « Emmenez-moi »…

    - Celle de Montserrat Caballé, « la dernière diva du bel canto », « La Superba ». Mais, là aussi, heureusement, il nous sera toujours possible d’entendre sa puissance vocale et les nuances de ses interprétations dans les enregistrements https://www.youtube.com/watch?v=P9LOqOvcJBU de cette sublime soprano.

    - Enfin, celle d’Antoine Sfeir. Les médias français n’ont pas manqué de rendre hommage à ce journaliste, politologue (franco-libanais), grand connaisseur du Moyen-Orient et du monde arabo-musulman. En revanche, la Presse en Suisse, semble avoir été plutôt silencieuse sur la disparition de cet intellectuel qui avait, il est vrai, davantage de résonnance en France.

    Néanmoins, nul doute qu’Antoine Sfeir était une grande voix, un passeur unique entre l’Orient et l’Occident. Or, avec le conflit endémique au Moyen-Orient, qui entraîne des massacres de populations et menace de s’étendre toujours plus, la sagesse d’Antoine Sfeir nous manque déjà.

    Antoine Sfeir.jpegAuteur d’une vingtaine d’ouvrages, Antoine Sfeir était une voix particulière (au sens propre et figuré). Sa légère paralysie d’une lèvre (liée à une poliomyélite dans l’enfance) lui donnait une légère grimace (qu’il qualifiait de « sourire sarcastique ») et un ton inimitable. Ce qui caractérise cet homme fut son combat infatigable pour transmettre la connaissance de l’Autre. Car, pour lui, respecter l’Autre ou les Autres, implique qu’il faut les reconnaître. Or, comment pouvons-nous prétendre reconnaître les Autres si nous ne les connaissons même pas ? C’est animé par cette exigence qu’il deviendra chroniqueur, écrivain, journaliste (fondateur et directeur de la revue « Les Cahiers de l’Orient »), président du « Centre d’étude et de réflexions sur le Proche-Orient », conférencier, consultant de radios et journaux français et enseignant des relations internationales, sans manquer d’aller dans les banlieues françaises rencontrer les jeunes pour leur transmettre son amour de la connaissance. Car, assurément, pour cet homme, pétri de culture, le meilleur antidote à tout fanatisme, c’est la connaissance, le savoir, la curiosité et l’étude…

    L’enlèvement de ce politologue, en pleine guerre au Liban par des milices palestiniennes où il fut torturé, l’amènera à quitter son pays pour se réfugier à Paris.

    On comprend mieux combien cet homme érudit et exigent ne pouvait tolérer la complaisance et la supercherie. A cet égard, il faut se rappeler qu’il fut l’un des premiers à dénoncer l’imposture de Tariq Ramadan qu’il qualifia, en 2001, de « fondamentaliste charmeur, spécialiste du double langage ». Evidemment, le petit-fils du fondateur des Frères musulmans, qui aimait, ne l’oublions pas, se présenter comme un « savant de l’islam », déposera une plainte en diffamation contre Antoine Sfeir. Mais, après un long procès (M. Ramadan fit appel du premier jugement), la Cour d’appel de Lyon relaxa Antoine Sfeir de toute accusation.

    Antoine Sfeir ne relâcha jamais sa vigilance contre les dérives sectaires et fanatiques. Dans l’extrait mis en ligne, on l’entend, à la Mission parlementaire française, s’exprimer sur le “voile intégral” en 2009. Un morceau d’anthologie ! A écouter absolument sur: https://www.youtube.com/watch?v=lcr9WGBrOyg

    Pour (re)entendre Antoine Sfeir, ardent défenseur de l’histoire, de la littérature, de la liberté et des droits de l’Homme, reprenons sa conférence : « Cet orient si compliqué, comment le comprendre ? » (Liège, 2016) https://www.youtube.com/watch?v=GGllG-CvMlo et rappelons-nous que…

    Si l’homme nous a quittés, sa voix perdure…